MÉMOIRE DE DSAA

HORS-JEU

Octobre 2019 – Fevrier 2020

Lors de ma deuxième année de DSAA EEM j’ai écrit un mémoire sur le sport sauvage en ville. J’ai porté mon regard sur les sports collectifs, utilisant un ballon dans l’espace public hors des installations qui leurs sont destinés.
En m’appuyant sur la définition du jeu de Roger Caillois je me suis intéressé aux règles changeantes mais toujours présentes et à la façon dont le jeu permet de créer des mondes séparés de la vie réelle.

J’ai également questionné l’espace public à travers le livre de Michel de Certeau (L’invention du quotidien tome 1) afin de comprendre les rapports de forces entre le contrôle d’un espace et l’usage qui en est fait.

L’ensauvagement du sport m’est alors apparu comme une façon de libérer la ville d’une planification trop stricte. Ceci dans le but d’offrir une réelle intéraction entre l’humain et son espace de vie. Un espace que l’on fait évoluer tout en évoluant soi-même.

INTRODUCTION:

Le ballon sort du terrain. Après une courte accélération, un jeune joueur tente une frappe de loin en direction des cages adverses. Rapidement, je quitte mon poste de gardien pour faire le tour du mur grillagé. Je cours chercher le ballon qui roule sur la pelouse adjacente. D’un coup de pied rapide, je le renvoie par-dessus le grillage. La partie reprend alors son cours. Depuis 10h du matin, je suis sur le terrain avec mon petit cousin pour jouer au ballon dans ce parc. Au fil des heures, de plus en plus de joueurs se joignent à nous. Au début, les formes des jeux sont un peu décousues. Avec l’affluence progressive de nouveaux joueurs, la formation d’équipes et de matchs plus classiques s’impose. Aux alentours de 13h, les plus jeunes d’entre nous rentrent chez eux pour déjeuner. Le jeu en est alors à l’état de tournoi, avec une rotation millimétrée des équipes.

De 2016 à 2018, j’ai souvent emmené mon petit cousin – qui avait alors entre 9 et 11 ans – jouer au ballon le dimanche sur le terrain de football du parc Martin Luther King, dans le 17e arrondissement de Paris. De mes 10 à 18 ans, je jouais dans les rues de Lisbonne, ville dans laquelle j’ai grandi. J’investissais les ruelles peu fréquentées par les voitures, les kiosques délaissés des jardins publics, ou bien les larges trottoirs de la rue pavée près de l’église Santa Isabel. C’était pour moi une façon de m’approprier la ville, de mieux la connaître spatialement, mais aussi socialement. C’étaient les seuls lieux disponibles dans l’espace public, faute d’infrastructures sportives ouvertes à tous. De septembre 2018 à août 2019, le parc Martin Luther King a été en travaux. Les jeux de ballons du dimanche matin ont alors cessé.

Ma démarche pendant cette période de fermeture du parc a été de chercher dans Paris des espaces à usages multiples. Ce sont des espaces, avec ou sans fonctions, qui échappent parfois à l’ordre bâti. Ces lieux aux contours et fonctions floues permettent l’apparition spontanée des sports de rue. Le cadre de ces pratiques sportives et l’attitude de ses pratiquants m’a intéressé, en tant que designer portant un regard sur l’espace public : la pratique
de ces sports influence la ville et inversement.

Il est vrai qu’il existe beaucoup d’équipements sportifs ouverts dans Paris. Ces espaces dédiés aux sports sont très peu en harmonie avec l’espace public, et leurs usages très cadrés. Pourtant les pratiques sportives auto-organisées existent dans la ville, en dehors de ces équipements.
Si le parkour et le skateboard semblent être les sports qui s’approprient le mieux l’espace public, ils demeurent des sports de déplacement qui peuvent se pratiquer seul. Les sports d’équipe que l’on observe dans les rues (football, basket, rugby, hockey) occupent temporairement un lieu et ce lieu devient alors un espace de rencontres et de sociabilité. Les règles de ces jeux découlent directement de leurs sports référents. Pourtant, les pratiquants de sports de rue collectifs ne les appliquent pas à la lettre.

Nous pouvons dire que ces sports, en dehors des cadres que l’architecture des villes leur donne, ont un caractère sauvage : ils sont imprévisibles et incontrôlables. Or, la ville moderne est une ville fonctionnaliste, qui vise à en contrôler tous les espaces, voire les moindres recoins. Si les sports sauvages rompent avec la planification de l’espace public, ils représentent aussi une façon de se défaire des sports institutionnalisés. Le système sportif est en effet composé de fédérations, de règles établies et fixes, ainsi que d’un affrontement compétitif. L’encadrement du sport, dans un espace précis, par une réglementation fixe, codifie la façon de jouer.

La prise en compte de ces sports sauvages dans l’espace public a fait l’objet de plusieurs projets de design et d’urbanisme. Certains projets ont trouvé des approches originales à la question de la multiplicité des usages, des équipements, de l’accessibilité à tous moments aux espaces sportifs, de la mobilité des jeux, de l’interaction avec le mobilier ou même de l’adaptabilité des terrains de jeux, mais je souhaite, de mon côté, aborder la question de la liberté de jouer partout dans la ville.

Je fais, en tant que designer, un pari créatif qui consiste à faire sortir le sport des espaces qui lui sont dédiés et de l’inscrire dans la ville. Inscrire le sport en tant que jeu dans la ville, c’est à la fois observer des règles propres au jeu – et nécessaires à la vie sociale – et faire en sorte qu’il y ait du jeu, au sens mécanique du terme, dans ces règles. Peut-on ainsi libérer la ville en ensauvageant le sport ?

Dans sa définition polysémique, le jeu sera la colonne vertébrale de ma recherche. Il sera d’abord question du sport et du jeu. En considérant le sport comme un élément fondamental de la dynamique de nos villes et de ses habitants, nous analyserons le format des Jeux Olympiques, et nous verrons comment d’autres formes de jeux sportifs émergent dans l’espace public pour se défaire des modes de jeux établis. Progressivement, nous arriverons aux rapports entre le jeu sportif et l’espace public. Formulons l’hypothèse que le jeu sportif sauvage soit une façon de s’approprier la ville. Il semble alors intéressant d’aborder les risques qu’il engendre et les espaces qui lui sont dédiés, mais aussi de faire l’esquisse du spectacle qu’il propose.
Cette recherche tentera de façonner une méthodologie de travail qui encourage les pratiques sportives sauvages dans la ville. Elle a pour but de proposer de nouvelles façons de prendre en compte les caractéristiques des jeux sportifs de rue. Que ce soit dans le domaine du design d’espace, ou le design événementiel et médiation.

Le mémoire est le point de départ d’une réflexion qui mène jusqu’au Macro-projet que vous pouvez trouver ici: